« Que faire avec tant d’eau ? Je veux dire, qu’écrire ? » se demande Francis Tabouret dans Traversée publié par les Éditions P.O.L en début d’année. Ce n’est pas la seule question posée par l’écrivain. Son livre de bord peut se lire, à lui seul, comme une méditation sur la place de l’écriture dans la vie, moment réflexif favorisé par les circonstances : un voyage transatlantique en cargo. Francis tabouret est « convoyeur de chevaux », « une sorte de steward équin ». S’il a l’habitude de s’occuper des bêtes à dix mille mètres d’altitude, les accompagner en bateau est une nouveauté. Depuis la fermeture des lignes d’avions de marchandises vers les Antilles, pas d’autre choix que de passer par la mer. L’écrivain embarque un 24 septembre à Rouen et débarque un 8 octobre à Fort-de-France. D’un mercredi à l’autre, les treize jours de traversée font l’objet d’une entrée dont l’ensemble constitue un « logbook » original. Boîte noire de la vie contemplative de l’écrivain, le livre de bord consigne des événements intérieurs, enregistre la moindre vibration poétique provoquée par la lumière, les sons, les mouvements, mais aussi le silence ou l’immobilité. À cet égard, beaucoup de passages seraient à citer parce que Francis Tabouret a le talent, rare, d’extraire le suc poétique de toutes choses. « La nuit, le port est une féerie. C’est là que les techniciens du spectacle devraient faire leurs stages, ils apprendraient tout : les lumières du bateau en douche sur les ponts, les lumières jaunes ou blanches accrochées au grill du portique, les lumières des engins, les ombres et les pénombres. Tout est beau. » C’est lorsqu’il évoque la perception du temps sur le bateau, que l’écrivain touche au cœur, profondément : « L’incertitude de ce courrier qui arrive, qui se perd, qui prend son temps ou tout à coup se dépêche. L’épistolaire demande le temps qui passe, sans lui il est diminué, sans forces. En mer, il reste un ersatz de ce temps. » L’écriture de Francis Tabouret charme par une discrète élégance, sans flamboyance, mais terriblement efficace. S’embarquer avec lui, c’est faire l’expérience d’un voyage intérieur, c’est chercher, avec lui des réponses aux nombreuses questions que pose une traversée hors du commun. « Pourquoi n’y a-t-il pas de littérature des mers calmes ? » se demande l’écrivain à mi-chemin. La dernière page tournée, on peut se dire que c’est désormais chose faite.
Francis Tabouret, Traversée, Éditions P.O.L, mars 2018, 160 pages, 15€
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