Drôle d’endroit pour une Malencontre

Bodo Kirchhoff, Malencontre, traduit de l’Allemand par Bernard Lortholary, Éditions Gallimard, Collection « Du monde entier », octobre 2018, 224 pages, 13,99 €

Retiher est un éditeur à la retraite. « L’automne dernier » il a liquidé sa maison d’édition et vendu sa librairie attenante. Installé dans la haute vallée de la Weissach, il fume et il boit (un stock de vin acheté à l’occasion d’un voyage dans les Pouilles). Que lui veut Leonie qui fait les cent pas devant sa porte ? Animatrice du cercle de lecture de l’immeuble, ancienne modiste désenchantée, attend-elle de lui qu’il prenne part aux réunions d’écrivaines en herbe ? Peu importe, très vite, quelque chose se noue entre eux, quelque chose de délicat, de tendre. Attirés l’un par l’autre, liés par un deuil partagé mais non commun, ils vont prendre la route pour le sud dans la voiture de Léonie, un petit cabriolet BMW, série 3 « bleu sombre, sièges beiges ». En chemin, à l’ombre de leur drame personnel, va se construire une nouvelle histoire, une nouvelle page de leur vie. Dans cette histoire, des réfugiés clandestins qui eux montent vers le nord vont jouer un rôle important. La confrontation de ces deux êtres fatigués par la vie avec ceux qui ont tout perdu et tentent d’échapper à la misère et la mort va réactiver en eux le désir de vivre. 

Avec ce très beau roman, Bodo Kirchhoff a obtenu en 2016 le Prix du livre allemand (Deutscher Buchpeis). Malencontre est un livre qui s’édite en permanence à travers le personnage de Reither. Déformation professionnelle, pourrait-on dire, il commente systématiquement le cours de sa vie, les paroles des autres, à travers la grille de lecture de l’éditeur. Tel mot est souligné comme désuet et inusité chez les écrivains contemporains, la conversation critiquée comme utilisation abusive et facile des dialogues dans un roman. Les images même sont passées au crible, utiliser tel ou tel mot serait « trop dire ». Ce qui pourrait passer pour une sorte de maniérisme est plus un dispositif narratif qui veille à désamorcer ce qui pourrait paraître cliché. Aucun lieu commun dans Malencontre, les deux personnages ont bien trop de force, sont bien trop solidement dessinés. Il faut souligner le remarquable travail de traduction de Bernard Lortholary. Le style très personnel de Bodo Kirchhoff, la voix douce-amère de l’écrivain est parfaitement rendue en français. On imagine le travail minutieux et colossal, sans aucun doute passionnant, auquel s’est confronté le traducteur. C’est un livre qui marque, il restera parmi mes préférés de 2018.

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